Press "Enter" to skip to content

Entretien avec Jean Campiche

Partie I – Quelques éléments biographiques

A. L’avant HEUER : Électronique, Mécanique et Moto

Je m’appelle Jean Campiche et je suis né le 25 janvier 1945. J’habite à Lausanne avec une vue magnifique sur le lac Léman. Aujourd’hui je réalise une interview pour Ikonic Stopwatch sur la vie dans le milieu de la Formule 1, du sport en général, et des évolutions du chronométrage, en particulier de la précision, de la fiabilité et de l’innovation.

J’ai fait mes études à l’école primaire, puis l’école secondaire scientifique. J’ai ensuite intégré l’école des métiers où je suis sorti avec un diplôme de radioélectricien, suivi d’études d’ingénieurs, pour sortir en 1964 avec un titre d’ingénieur ETS, qui était l’école technique supérieure (aujourd’hui l’HEIG).

J’adorais la mécanique, au point que des professeurs m’ont suggéré de rejoindre la section mécanique plutôt que de continuer en électronique. J’ai répondu que non; mon vrai désir étant d’obtenir un diplôme d’ingénieur en électronique.

Mais ma vraie passion, était effectivement la mécanique des moteurs à explosion et surtout le pilotage des deux-roues. Je me suis donc beaucoup entraîné avec différentes motos, déjà passablement améliorées. Mon rêve était d’être pilote officiel pour une écurie. C’est donc logiquement que je me suis inscrit avec mes petits moyens à des courses internationales, puis à celles du championnat du monde, après avoir réalisé de bons résultats. J’ai d’ailleurs marqué, chaque année, des points, car arrivé dans les dix premiers. J’étais un pilote privé qui devait acheter des motos d’occasion, ou construire des modèles artisanalement, en assemblant moteurs de compétition et cadres réalisés spécifiquement. A ces frais s’ajoutaient, les voyages aux différentes courses, l’entretien des motos avec les pièces et accessoires remplacés régulièrement, les réparations suite à des chutes, sans parler des casses moteurs, qui étaient beaucoup plus fréquentes qu’aujourd’hui. C’était une passion qui demandait déjà un gros budget. Pour maximiser les chances d’atteindre mon rêve, j’ai contacté de nombreuses entreprises ou organisations pour proposer une présence et une visibilité dans le monde du motoracing en échange d’une aide financière… Sans succès malheureusement… Un peu plus tard j’ai aussi pris contact avec des constructeurs participant aux grands prix pour proposer mes services en tant que pilote (MV Agusta, Benelli, Honda ou Yamaha). Ils m’ont tous répondu avec beaucoup de politesse, mais je suis resté sans réel espoir de trouver un guidon.

A la fin de 1972, je me suis rendu compte que sans sponsoring, il était pratiquement impossible de continuer dans le motoracing. Une moto coûtait 30 ou 40 000 francs suisses. De plus pour poursuivre dans cette discipline j’aurais dû évoluer dans deux catégories, donc débourser 80 000 francs suisses pour acquérir deux motos. A cela s’ajoutait un bus pour transporter les motos… Le budget final était d’environ 100 000 francs à 120 000 francs. Même en travaillant beaucoup dans une société d’électronique pendant l’hiver , je ne pouvais pas dépenser cet argent.

Jean Campiche à moto --- photo par C. et T. Torbjorn sur pejer.com --- ikonicstopwatch.com
visuel 1 : Jean Campiche sur sa Aermacchi-Drixton en 1970 en Suède

NDLR : Avant même de connaître Jack Heuer et HEUER, Monsieur Campiche partage avec le dirigeant, de nombreuses passions et points communs. Tous les deux issus d’une école d’ingénieur dans les domaines novateurs de l’époque, ils ont le goût de la vitesse, du ski, des sports mécaniques et des technologies innovantes.

B. L’arrivée à HEUER : chronométrage pour Ferrari, relations publiques et commerciales

J’ai donc commencé à lire les petites annonces, en me demandant ce que j’allais pouvoir faire… Et c’est là, au début de l’hiver 1972 que je tombe sur un article, dans le journal de Lausanne, avec le logo de la société HEUER, que je ne connaissais pas à l’époque, localisée à Bienne et spécialisée dans le domaine de la mesure du temps. Ils cherchaient à engager quelqu’un pour s’occuper du chronométrage auprès d’une écurie italienne de prestige, dont le nom n’était pas mentionné et qui se révélera être Ferrari. Outre l’aspect technique du chronométrage, le poste demandait des compétences commerciales et du « PR » (terme que je ne connaissais pas et qui signifiait « Public Relations »). J’ai fait une offre. Beaucoup de personnes (environ 50) avaient répondu. Après un premier tri, il ne restait que 10 personnes, puis à la fin nous n’étions plus que deux. C’était un peu spécial car l’autre personne était un dirigeant du département de chronométrage chez Longines. J’ai finalement été choisi, grâce à ma passion et ma connaissance des sports motorisés ainsi que mes relations avec nombre d’organisateurs, de sponsors ou de dirigeants… Et puis j’étais ingénieur en électronique, technologie qui allait être de plus en plus utilisée dans le domaine du chronométrage. Le 1er janvier 1973, j’ai donc été engagé officiellement chez HEUER, société spécialisée dans la fabrication de chronographes, de compteurs industriels, de compteurs de sport et de dashboards… Il y avait déjà un département de chronométrage électronique, dirigé par François Prinz.

Ma priorité numéro un était d’assurer le chronométrage pour Ferrari et de gérer les installations sur leur piste privée de Fiorano. 45 photocellules HEUER connectées à un Centigraphe étaient disposées autour de ce petit circuit d’environ 1 kilomètre. Les temps partiels relevés étaient traités par un énorme ordinateur Olivetti qui calculait les accélérations, les vitesses à l’entrée et à la sortie des virages, les temps au tour etc. C’était le premier circuit privé en Europe, si ce n’est au monde à être équipé d’un tel système de chronométrage professionnel.

Mes autres priorités étaient de développer un lien étroit avec les écuries, les journalistes et les organisateurs. Entre les compétitions, j’avais une mission commerciale pour la promotion et la vente d’installation de chronométrage auprès des circuits, des organisateurs et des fédérations sportives. Ferrari bénéficiait en premier de nos produits, qui par la suite étaient achetés par d’autres écuries. J’ai ainsi vendu des installations Le Mans à Williams, Brabham, Tyrrell, Shadow Surtees et Mclaren.